L’exposition
L’homme s’invente une irréalité pour survivre au réel.
GÉRARD RANCINAN – CAROLINE GAUDRIAULT
L’homme s’invente une irréalité pour survivre au réel.
L’artiste photographe Gérard Rancinan et l’auteur Caroline Gaudriault ont répondu à l’invitation de la Base sous-marine en donnant sens à ce lieu de mémoire dont la fonction première a été détournée. Ils proposent un parcours à travers une sélection de leurs œuvres et ouvrages où se confrontent à chaque pas le réel et l’irréel. Il en va de la perception que l’on se fait d’une société, d’une photographie, du sens d’un mot. Ils abordent cette question d’un point de vue poétique en faisant appel à l’enfance, au passé, à l’émotion, à la mémoire, à tout ce qui façonne la réalité du présent. Ils l’abordent aussi essentiellement d’un point de vue politique en évoquant le détournement du réel, la transposition volontaire de l’iconographie, la transformation du langage et du son.
Ce parcours comprend des installations, des photographies, des écrits, des vidéos, des enregistrements sonores et un film.
Toutes ces formes convergent vers les questionnements permanents de nos réalités qui façonnent une société construite sur des fantasmes et des illusions et dont il est urgent de ne pas être dupes.
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Base sous-marine, Bordeaux, France, 2016
Le parcours commence par les bassins d’eau vidés de leurs sous-marins, dans le chaos du monde.
Telle un Opéra de l’irréel, la mémoire de ce qui nous a précédé résonne dans ce lieu, là où se mélangent le son des bombes et la divine voix de la Callas. La Fête est finie, œuvre photographique monumentale sur toile, ne nous épargne rien de la réalité brutale et de la douceur des paradis de notre imaginaire.
Les premières alcôves empreintes des traces passées se remplissent de nos réminiscences. Qu’est-ce qui ne s’oublie pas ? Quelle sélection fait-on parmi l’histoire commune et celle propre à chacun ? Le parcours d’un artiste commence là où sont accrochés les rêves qui l’ont construit et qui l’ont conduit jusque-là.
Des fragments de la Trilogie des Moderne (2007-2012) parlent des dévots de la Modernité, qui tentent d’effacer tout héritage jugé trop lourd à porter pour réinventer le présent. Par l’impertinence et l’humour, loin du jugement moral ou de la démonstration péremptoire, cette Trilogie se moque néanmoins des excès des nouvelles mythologies pécuniaires, des illusions devenues mortifères et dictatoriales, de la schizophrénie sociale. Le virtuel s’assume totalement dans nos sociétés contemporaines, mais crée-t-il toujours du rêve ?
Le Destin des Hommes (2015) parle de cette vocation humaine à imiter les anges, à se dépasser, se sublimer, se transcender. Si les Hommes constituent les seules créatures dotées d’autant d’imaginaire, elles s’en servent avec génie pour concevoir les inventions dignes de leur créativité. C’est là que le combat commence, intérieur et éternel. La lumière côtoie l’obscur et la création s’oppose à l’autodestruction. Aucun Homme n’échappe à sa nature, aussi bienfaitrice que néfaste.
Les Portraits d’artistes (1972-2016) mettent en scène par la voie de la performance ceux qui se projettent le plus dans l’abstraction du monde, par la création et par la volonté de devenir non plus un homme, mais une référence. La représentation iconographique devient aussi importante que l’œuvre créée et leur donne un statut éternel.
Un petit homme dans un vaste monde (2013-2014) plonge l’homme minuscule dans l’invariable géométrie du monde. De nouveaux territoires, biologiques, nanotechnolo- giques… s’ouvrent à lui. Son identité même est en jeu, dans ses choix politiques et éthiques, ses désirs prométhéens et transhumanistes. Parfois il lui est plus difficile de poser les bonnes questions que de trouver des réponses immédiates. Aura-t-il toujours l’indépendance d’esprit de se demander quelle est sa réalité, son identité face à la virtualité du monde ?
On s’est créé nos propres bibliothèques, l’artiste y a disposé ses rencontres photographiques, comme des baisers volés à l’histoire. L’histoire réelle des grands personnages a laissé place à l’iconographie fantasmée. Ils ont franchi la rive de l’oubli pour atteindre celle de l’éternité.
Seul l’instant est réel, le passé, lui, est sujet à la déformation de la mémoire. La dernière alcôve représente l’instant présent. Ce « bureau reconstitué » de l’artiste et de l’auteur, sorte de capharnaüm de leurs idées, rassemble les éléments influents de leurs vies et de leurs parcours donnant lieu à leur conversation ininterrompue sur l’état du monde. Il en va de l’inspiration comme d’un don immatériel de la pensée, avec sa fragilité, les expériences vécues, les idées et les croyances, les rencontres. C’est tout cela qu’ils épinglent au mur : tout ce qui donne du sens à leur travail.
Le parcours se poursuit avec une installation sur la mémoire sonore qui nous parvient du passé.