L’exposition
Chaque nouvelle série est une prise de risque pour Rancinan qui n’hésite pas dans cette vision du monde jusqu’au-boutiste, à chercher la rupture avec son travail précédent. Il choisit aujourd’hui l’intimité du studio et le travail avec un unique danseur. Dans une recherche graphique, minimaliste, épurée, il s’est rapproché d’une écriture contrastée, presque noire et blanche sans jamais l’être totalement. L’œuvre proposée garde sa signature identitaire dans ce qu’elle a de contemporain et de monumentale. Rancinan se plonge dans la symbolique en mettant en rapport l’homme dans ses attitudes face au monde, à travers le jeu des formes géométriques. Il pousse les limites, cherche la ligne essentielle entre l’homme et son monde, l’équilibre précaire d’une tension entre l’un et l’autre, parfois dans une relation harmonieuse, d’autres fois dans une relation déstabilisante. Il est toujours question d’axe à trouver, métaphore d’un sens que les hommes donnent à leur existence.
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Caroline Gaudriault regarde l’humanité dans son actualité et a beaucoup écrit sur l’homme face à sa modernité galopante et ses effets contradictoires. Un ton extra lucide allégé par l’humour et l’impertinence ont marqué ses écrits d’un optimisme lucide.
Dans Un petit homme dans un vaste monde, elle a décidé de poser un regard poétique sur la nature humaine. Comme si, à l’heure des questionnements sur l’identité même de l’homme, elle souhaite le replacer dans ce qui fait toute sa beauté et sa fragilité. Il n’est plus question de menaces puisque l’homme est déjà dans un après. A travers des pensées sous forme de dystopie (une manière de parler de catastrophisme pour le conjurer), elle s’amuse à imaginer l’homme nouveau.
Elle aime se confronter aux penseurs contemporains et dans cet ouvrage, c’est avec le philosophe et politologue américain Francis Fukuyama qu’elle choisit de converser à bâton rompu. Ils se posent ensemble la question d’un aboutissement ou d’une déliquescence.
Le livre en version française, américaine et chinoise est donc composé de deux parties, la première sous forme d’une conversation entre Caroline Gaudriault et le penseur Francis Fukuyama et la seconde sous forme de poèmes de Caroline Gaudriault.
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Un petit homme dans un vaste monde. Partie I :
« En conversant avec Francis Fukuyama » Morceaux choisis :
Caroline Gaudriault. Vous parlez d’un homme désabusé, un homme qui a eu l’expérience de l’Histoire et qui s’aperçoit aujourd’hui que les batailles sont vaines - que mourir pour une idée peut être vain- et que cet homme est désillusionné aujourd’hui. (…)
Francis Fukuyama. L’individu dont vous parlez est le Dernier Homme de Nietzsche. Un Dernier Homme qui, dans un sens, a été épuisé par L’Histoire. Toutes les luttes pour la justice, pour une vie meilleure qui ont caractérisé l’histoire humaine, ont été résolues, et cette personne vit maintenant dans une société riche, paisible et sans violences. Le Dernier Homme est sans aspirations, si ce n’est que tout cela se reproduise : encore plus de richesse, encore plus de sécurité, etc. (…). Je crois que c’est quelque chose qui va continuer à se produire. Ce qui caractérise notre monde, c’est qu’il en existe une partie où les gens sont plus ou moins satisfaits et où réside ce problème du Dernier Homme, et le reste du monde qui vit dans la pauvreté, et pour lequel l’injustice est une expérience quotidienne. Alors, je ne pense pas qu’on ait atteint un moment où il n’y a plus d’aspirations. Je crois qu’il reste beaucoup de frontières à conquérir. Mais il faut aussi espérer qu’on ne nous ramène pas en arrière, car pendant des siècles, le monde était fait de luttes, de guerres et de conflits.
(….)
Un petit homme dans un vaste monde. Partie II :
Dystopie (extrait)
Conversation intime
L’homme – M’as-tu donné l’ordre d’aimer ?
Son cerveau – Non !
L’homme - … ?…
Son cerveau – Ecoute, tu es trop impulsif. Toujours agir
en fonction de tes émotions ! Un peu de raison…
L’homme – Mais aimer… c’est tout ce qu’il me reste d’un
peu humain.
Son cerveau – ca ne sert à rien ! Tu perds ton temps et tu
me fais perdre le mien.
Ca tire trop sur mes capacités et me demande une
concentration qu’il est plus utile de mettre ailleurs. Aimer,
aimer…Regarde toi avec tes jambes fébriles, tes joues qui
se mettent à rougir, tes bégaiements de débutant. Je
n’arrive plus à te contrôler, moi ! Tu te vois un peu !
Ce n’est pas l’image d’un homme fort qui a encore
beaucoup de missions à accomplir.
L’homme – (penaud) …
Son cerveau – (chuchotant) Entre nous, s’accoupler c’est
un peu archaïque…
L’homme – ouais enfin, facile à dire… Tu peux penser
à moi ? Moi je trouve cela agréa…
Son cerveau – Quoi ? Ah non ! tu ne vas pas me jouer le
sentimentaliste ! Agréable ! Il ne manque plus que ca !
L’homme – Bon bon, ne te vexe pas ! Tu serais capable de
te fâcher et là ca ne devient vraiment pas drôle pour moi.
J’en ai des convulsions.
Mais dis-moi à quoi je sers alors ?
Son cerveau – Mais plus à grand chose, qu’est-ce que tu
crois ! Et puis tu sais bientôt ce sera mon tour d’être guidé
: un cerveau plus puissant que moi prendra le contrôle et
là tu auras encore moins le choix.
L’homme rentre sa tête entre ses épaules, marche
lentement. Il profite que son cerveau soit prit dans ses
pensées pour lui voler une seconde d’émotion : il voit
passer une fille, jolie, la regarde intensément et ferme les
yeux en se disant : « C’est toujours ça de pris ! ».
Et l’Homme dans tout cela ?
L’Homme transplanté.
L’Homme implanté.
L’Homme modifié.
L’Homme réparé.
L’Homme augmenté.
L’Homme cryptogénéisé.
L’Homme contrôlé.
L’Homme greffé.
L’Homme programmé.
L’Homme transfiguré.
L’Homme robotisé.
L’Homme fabriqué.
Minuscules
Les hommes ne s’attendaient pas à cela :
Plus ils se sont développés
Plus ils se sont rapetissés
Marrant , comment ils se sont fait bernés !
LE PARCOURS, LA SCENOGRAPHIE
Sinan Mansions, Shanghai, Chine - 2014
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Base sous-marine de Bordeaux, France - 2016
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Ancienne Patinoire Royale, Bruxelle, Belgique - 2014
Dans la press
“C’est le poids des mots et le choc des photos. Mais il n’y a pas de voyeurisme ou de complaintes emphatiques. Juste des appels lancés à la poésie, à la réflexion, sur ce monde nouveau qui nous habite parfois jusqu’à l’écrasement. Ensemble, ils le décortiquent, ils le cisèlent au scalpel, et la chimère se livre. Et c’est aussi fascinant qu’effrayant.”
Journal « CAUSEUR » – 20 Avril 2014
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